Irène est une artiste qui joue avec la matière, le relief, le contraste et le rythme. Elle varie les supports et les techniques. Elle dessine des formes qui reflètent les énergies qui l’animent. Elle suit son instinct, sa curiosité et sa liberté. Suivons l'invitation dans son paisible atelier.

Un jour, alors qu’Irène Goujon Brun apprend le dessin académique de nu, au détour d’un escalier puis d’une salle, elle surprend le cours de peinture. Elle se sent immédiatement attirée par ce spectacle ballet des étudiants peintres. Ce soir-là, elle assiste à une explosion de couleurs, de styles et de techniques. Elle y voit là, la possibilité de s’exprimer librement, sans contraintes ni règles. Mais Irène, sans cesse déplacée, doit poser les pinceaux pendant quelques années.

Plus tard, de retour en France, elle s’installe en Touraine. C’est ici que démarre une page vierge, les deux pieds dans l’acrylique. La peinture se pose alors en refuge, au cœur de la cité médiévale de Loches.

Matières en mouvement

Ses outils : couteaux, truelles, spatules et plus rares pinceaux. A mesure que nous grattons l’histoire de l’artiste, on se rend compte qu’Irène ne se contente pas de peindre : elle sculpte, elle découpe, elle colle, elle vernit. Sur des supports divers : le bois, le fer, le liège, le plexiglas, la toile ou le papier. Dans un jeu de reliefs, de textures et de contrastes. Elle patine à la cire, à la résine ou aux brous de noix. Elle utilise parfois le pastel.  Elle fait toujours ses châssis et ses encadrements. Chez elle, l’œuvre est matière, entière.


« Le choix de mes couleurs ? Les ocres, les bruns, les gris, que du plaisir. En ce moment, ce sont des tonalités froides ». Irène ne veut pas se répéter ni s’enfermer dans un style. Ici, un support glacé, où la matière glisse et capte la lumière.  Là, des superpositions de sables pour apporter du relief. Les sujets varient également. Avec une part d’amusement parfois, à peindre des petits contes, ou sur des crève-coeurs lourds aux tonalités grises. Elle suit son instinct, sa curiosité, et se laisse, avant-tout, guider par sa liberté.

Ces grands formats accueillent la lumière avec vitalité.

Elle fouille dans un seau pour saisir des bouteilles remplies de textures plus ou moins granuleuses. Irène mêle les sables, souvent de Bretagne, à sa peinture. Elle est prise d’enthousiasme face aux cendres volcaniques du volcan de Bromo en Indonésie que sa fille lui a ramenées. Des grains noirs fins qu’elle souhaite faire ressortir purement. Le sable est toujours étalé en réfléchissant à « là où il doit être », avant peinture. Il peut ensuite être gratté et extrudé, par des gestes innocents.

On discerne aux plafonds des fissures de tailles variées dans ce bâtiment de plus d’un siècle. « Petite, avec mon père, j’adorais voir les vitraux. J’y aime la ligne et la séparation ». Elle les travaille à l’instinct, sans calcul ni mesure. Elle trace des formes, des courbes, des arabesques. Viennent des espaces, des plans, des perspectives. Des symétries, asymétries et ruptures. Elle compose parfois des tableaux en quatre parties, ou plus, rapiécés et morcelés. Elle y exprime ainsi le rythme qui nous anime, le morcellement de la vie et l’écoulement du temps qui passe.

La famille et le temps sont deux sujets majeurs de l'oeuvre d'Irène Gourjon Brun

L’atelier est grand. « J’ai la chance de pouvoir me libérer ». Elle fait des gestes amples en peignant, pour ne pas être contrainte. « Il y a plein d’énergies autour de nous, ça bouge ». Elle les traduit par des effets de grouillement et de vibration. La patience et la spontanéité se mêlent. Elle commence par choisir ses couleurs. Puis, « je jette les grandes lignes, et ça continue tout seul ». Elle se laisse porter par son intuition, celle de son corps et celle qui jaillit d’un lâcher de peinture.


La recherche d’une paix en soi

L’atelier est lumineux. Irène Gourjon Brun peint en pleine sérénité de cette bulle. Elle prend son temps, ne discerne plus les horaires, respecte le temps de séchage, le temps de repos, le temps de pause. Elle ressent le besoin de s’évader, d’être avec elle-même, de se libérer des contraintes du quotidien. Son atelier est son cocon. Mais c’est surtout une nécessité, une condition sine qua none pour créer, une concentration.

Irène est née à Pointe Noire. « Mon grand problème c’était de répondre à la question tu viens d’où ? Après le Congo, le Gabon, diverses villes en France et des années en Angleterre, au bout de 20 ans, ça y est, j’habite quelque part. Il y a eu ce besoin en moi de me sédentariser et la Touraine m’a permis cet ancrage. »  Elle y a trouvé sa terre d’accueil et sa source d’inspiration. Perchée en haut de la citadelle, elle cultive son terreau créatif et un tendre jardin potager. C’est un cadre paisible où elle peut se ressourcer, se détendre et se réjouir, simplement.

L’Art Esquimau, « comme s’ils étaient figés par le froid. »

Irène Gourjon Brun est attirée par les cultures du monde qu’elle a pu traverser. Les premiers hommes, les grottes, l’art primitif africain ou inuit, « une fascination pour l’épure et pour les marques des signes préhistoriques ». Au domicile, un assemblage de totems, coquillages, sculptures, bois et oeuvres contemporaines. Elle peint ce qu’elle voit, ce qu’elle ressent, ce qu’elle vit ou ce qu’elle a vécu. Irène brasse la matière de sa vie. Elle aime entre autres représenter des paysages et atmosphères particuliers. « J’adore la Bretagne et les pays du Nord », lâche-t-elle, enthousiaste. Ses toiles sont sensibles aux souffles, aux vents et aux horizons.

Irène est discrète. Ce qu’elle n’arrive pas à exprimer oralement, elle le dit à travers ses toiles. Derrière une timidité touchante, elle a une pudeur sincère. Elle drope parfois des mots dans les tableaux. Elle ne cherche pas à les lire, ni à les faire lire. Ils soulagent. Souvent, elle n’arrive pas à les relire. Elle devine seulement l’émotion qui l'a traversée, et, toujours, laisse le spectateur l’interpréter. Alors que les rayons déclinent, elle saisit devant nous, patiemment, un pinceau. Et enfile son tablier. Le temps se ralentit. Dans un silence rassurant, seulement traversé par l’outil qui lèche le sable texturé, ponctué de quelques mots épars, on ressent une pleine quiétude.