Jean Kittel, alchimiste des métaux, graveur de l'éphémère, révèle la beauté cachée dans la corrosion. Ses estampes sont des fenêtres ouvertes sur le temps qui passe, sur nos propres métamorphoses. L'art, comme la rouille, est une éternité figée.
L’atelier de Jean Kittel est un sanctuaire où le temps se dérobe. Dans sa paume, le métal se transforme en poésie. Chercheur chevronné dans le domaine des matériaux et de la corrosion, il a consacré plus de 25 ans à décortiquer les secrets des métaux. Mais ce n’est qu’à l’aube des années 2020 que sa pratique artistique a vu le jour, après une décennie de maturation.
L’approche scientifique, héritée de sa formation initiale, constitue un pilier essentiel de son travail. La corrosion des métaux, ce lent ballet entre l’oxydation et la réduction, devient sa muse. Le cuivre, patiné par les pluies acides, murmure les secrets des civilisations passées. Le fer, rouillé et fatigué, porte les cicatrices de batailles oubliées. Et l'aluminium, léger et fragile, se souvient des avions qui ont fendu les cieux. Tous ont marqué des tournants historiques dans l’histoire de l’Homme.
Pourtant, malgré les efforts déployés pour les façonner, leur destin est inéluctable : « Oxidum es, et in oxidum revertis ».
Eloge de l'oxydation
Dans ce laboratoire d'alchimiste, Jean Kittel observe les oxydes s'étendre, les surfaces se métamorphoser. Chaque tache, chaque fissure, chaque éclat de rouille est une partition dans cette composition visuelle.
L’esthétique tragique de la corrosion se matérialise dès qu’on la traduit en mots : corrosion bactérienne, filiforme, feuilletante… Si le chercheur s’efforce de maîtriser ses effets, l’aléatoire prend souvent le dessus. Mais pour le graveur, elle devient une alliée puissante. Jean Kittel cherche à rendre beau ce qui fait peur, à mettre en lumière ce qu’on ne voudrait pas voir.
Dans l'oxydation, il y a une beauté mélancolique. Comme les rides sur le visage d'un vieillard, chaque marque raconte une histoire. La corrosion est le témoin du temps qui passe, de la fragilité de toute chose. Elle nous rappelle que même les éléments les plus solides sont destinés à s'effriter, à se transformer.
Jean Kittel cherche à capturer cette essence éphémère. Ses estampes, imprimées avec soin, figent l'instant où le métal bascule de la jeunesse à la vieillesse. Les pigments d'oxydes, appliqués avec précision, rappellent les souvenirs enfouis dans les couches de corrosion. Et le papier, ce témoin muet, conserve ces reliques du temps.
Inspiré par Pierre Soulages et Hans Hartung, il utilise la technique d’impression d’estampes à la manière des eaux-fortes. L’encrage en taille douce redonne une existence à la matière qui a irrémédiablement disparu. La taille d’épargne souligne les zones encore préservées des affronts du temps. Pigments d’oxydes et de carbonates métalliques perpétuent le lien entre la matrice vieillie et sa reproduction sur papier. Deux œuvres distinctes qui se répondent et se complètent.
Ses estampes évoquent des paysages brumeux, des forêts oubliées, des cités englouties, des paysages lunaires ou martiens, des nuits étoilées où le temps se fige. Les nuances d'ocre, de vert-de-gris et de rouille se mêlent dans une danse intemporelle. On pourrait croire que ces images sont nées d'un rêve, d'une vision lointaine. Mais non, elles sont le fruit d'une alchimie patiente, d'un dialogue entre l'artiste et le métal.
Jean Kittel nous invite à contempler nos propres marques, nos propres fissures. Peut-être que dans ces traces, nous trouverons la poésie de notre existence.
