L'artiste transforme ces supports rugueux en peintures, qui racontent l’histoire de la vie paysanne et l’écho de for intérieur. Signes, couleurs et matières, créent des contrastes entre le passé et le présent, la rugosité et le raffinement. Célébration de la trace, de la mémoire et de la lumière.

De grands pans de toile de jute bistre, couverts de signes, certains anciens, vieux caractères d'imprimerie noirs, chiffres à la signification oubliée , images désuètes, symboles de sociétés commerciales d'antan; d'autres récents, marqués, voulus, traces de pinceau, grattages .

De la couleur aussi, dans tous ses états, du jus transparent nuançant à peine la trame grossière qu'il imprègne, à la croûte épaisse, riche, onctueuse, qui impose sa matière et fait disparaître le support: jaunes acides, blancs crémeux, mauves subtils, verts fugaces.

L'objet pictural ici proposé allie des qualités radicalement contradictoires : trivialité, rugosité, violence de la dégradation, violence de certaines interventions s'y confrontent au raffinement des harmonies colorées, des effacements délicatement maîtrisés.

Le point de départ de tout cela est une récupération de vieux sacs à grain depuis longtemps abandonnés dans la poussière de quelque hangar, et qui, redécouverts - parce que sans doute jamais oubliés dans l'imaginaire de l'artiste - ont imposé leur charge de vie, de temps, d'effort humain : épuisante activité des hommes en sueur dans l'éclat vibrant des étés, longs entassements des sacs rebondis dans l'antre tiède des greniers, sécurité de la récolte rentrée; et puis la fébrilité des discussions avec les négociants; et puis le voyage des marchandises désirées, charrettes cahotantes, camions brinquebalants - tout cela appartenant à un passé déjà lointain, à une civilisation si différente de celle où nous nous aventurons, mais prolongeant ses échos dans les strates de la mémoire comme tout ce qui a été expérience humaine.

Ici, la peinture devient un rituel : célébration de la trace abandonnée, retrouvée, régénérée par la vibration de la lumière colorée, par la danse du pinceau, par la matière étalée, pétrie, modelée entrant en résonance avec la modeste et rude texture du support, magnifiée.