Giacorode, en maître du collage, juxtapose des fragments de vies et de paysages, créant des mondes inédits où le réel et l'abstrait se rencontrent. À travers un travail minutieux de papiers déchirés et peints, il fait émerger des paysages vibrants, reflet d'une nature en perpétuelle évolution.

Surtout, ne vous y fiez pas !

Giacorode semble avoir pris tout son temps pour « prendre le temps » de peindre.

Un cheminement long, rempli de plusieurs vies, à l'image de ses collages : sa vie est une juxtaposition de plusieurs « mondes », qui, a priori, n'avaient aucune chance de se côtoyer. En quelque sorte, un collage de vies différentes possédant cependant toutes un point commun : la peinture, les artistes revenant comme une obsession.

Ce long cheminement va lui permettre une singularité, un univers dans lequel les choses s'imbriquent les unes dans les autres, petit à petit, lentement, patiemment... pour qui sait attendre.

Ainsi, au regard d'un « parcours » – et là encore, il s'agit de temps – tout prend forme, s'emboîte : chaque chose vient se mettre à sa place et prend son sens, à la manière d'une anamorphose qui ne pourrait se lire que par une reconstitution de la figure : ici, c'est le temps qui fait son œuvre et qui permet cette mise en perspective du parcours.

Ses collages lui permettent de faire émerger des rencontres que, sans lui, nous n'aurions pu voir, ni même deviner, rendant ainsi évident et visible ce qui, au départ, ne l'était que pour lui. Ainsi, lorsqu'il débute le collage, dans les années 80, il le travaille comme le faisaient les surréalistes ou bien encore les cubistes : il juxtapose des morceaux de réalité qui n'auraient jamais dû se rencontrer, créant ainsi des mondes qui n'existent pas, privilégiant l'aléatoire.

Mais aujourd'hui, il utilise le collage différemment : on retrouve du collage dans sa peinture, ou de la peinture dans le collage, pour que, finalement, le collage devienne du « papier, peint, collé », des « touches de papier collé », des morceaux de papier, peints, déchirés, collés, juxtaposés, superposés. L’image cède alors le pas à la matière et nous pourrions trouver beaucoup de références (Matisse, entre autres).

Il taille dans la « touche » et déchire la couleur. Puis, ses papiers déchirés et collés s'imbriquent, se superposent, à la manière de touches picturales : le papier collé n'est alors plus seulement une zone de couleur, mais devient une touche, à lui tout seul, associée à d'autres touches de papier déchiré, qui se croisent, s'entrecroisent, se superposent jusqu'à l'émergence de paysages, de montagnes, d'espaces qui vibrent grâce à cette touche.

Cézanne faisait de même : il « empilait les touches », construisant l’objet par la touche et la couleur, non par la ligne. Cette démarche restera la même dans des travaux plus abstraits. On peut alors y voir une recherche de construction plus spirituelle, une sorte de quête de la structure originelle qui élimine les limites entre la représentation et l’abstrait. Comme dans l’œuvre de Manessier ou encore de Nicolas de Staël, la limite est ténue entre l’abstraction et la réalité : une sorte d’oscillation allant de l’un à l’autre.

Ici, tout vibre ! Tout vit, même...

Le vide des grands espaces qu'il représente : des plaines verdoyantes (italiennes ?) au Grand Canyon, chaque « touche de papier collé » est jubilatoire et transpire le moment vécu, la vibration intérieure au regard de l'émotion ressentie devant ces paysages infinis, infimes, mais aussi intimes.

La chaleur se devine et le vide de ces espaces est empli de vibrations.

Mais, là encore, avec le collage, nous sommes dans les strates du temps : car le « pays », degré zéro du paysage (selon Alain Roger dans son court traité du paysage) est l'endroit dans lequel sont venus se poser les affres et les strates du temps, la superposition des espaces, des roches, des arbres, faisant de ce paysage un élément en perpétuelle mutation. S’opère alors une sorte de re-création du monde, comme dans une marmite où mijote tout ceci : mais attention aux recettes toutes prêtes, il en a horreur !

Les touches de papier se confondent alors avec les strates des roches, de la terre : elles s'agglutinent, se superposent, se rencontrent, se heurtent, se posent les unes sur les autres, comme le fait le temps venant déposer sa poussière pour transformer, lentement, le paysage, comme cet artiste opère avec ses collages, lui permettant ainsi de montrer le temps qui a passé et qui fige dans un moment présent, un paysage en devenir...

Cette même quête du temps se retrouve dans une autre partie de son travail de transfert de rouilles sur du papier. Il donne au temps la possibilité de faire œuvre sur ce matériau, jusqu'à ce que naisse sous nos yeux un dédale de rivières, un imbroglio de ramifications de fleuves, un inextricable enchevêtrement de lignes qui, par la magie de réactions chimico-temporelles, deviennent des représentations de rivières des bayous de Louisiane, des bouts d’Amazonie (où il vécut un temps), ou même encore ce que notre propre expérience et imagination nous feront voir...

Et, là encore, tout bouge, vibre : l'eau « dégouline », ruisselle, s'écoule, s'égoutte, puissamment, lentement...

C'est un « mouvement immobile » à la Fragonard, de ceux du « Verrou » (1778) ou de « l'Escarpolette » (1767) : un moment qui dure, un moment éternel !

Le mouvement est alors encore associé au temps : celui de la fabrication de l'œuvre.

La vibration, le mouvement, le temps qui s’arrête pour mieux se faire sentir... tout cela se voit, se devine, se « ressent » au regard de son travail. Le bruissement des feuilles de bambous à peine audible, le frémissement du petit vent du soir, la chaleur qui enveloppe tout ce qu’elle touche : vous avez compris que cet artiste a le pouvoir de rendre visible ce qui l’est « à peine », de rendre audible ce qui ne l’est pas.

Or, un artiste, c’est justement celui qui voit ce que les autres ne voient pas et qui ramène à la surface ce qui, sans lui, serait resté invisible, créant des évidences qui ne l'étaient pas et ne se devinaient pas plus...